[Point immo et financier] Taux d’usure : quand un outil protecteur devient outil d’exclusion

22/12/2022

Le ralentissement économique que nous subissons depuis quelques mois a rendu plus onéreux les prêts immobiliers et entraîné une baisse de la demande de logement. L’assouplissement des prix de l’immobilier, qui s’est accompagné d’une baisse généralisée des prix, n’a pourtant pas permis à davantage de ménages d’accéder à la propriété. La raison : leur pouvoir d’achat a été réduit par l’inflation, qui atteint des niveaux qui n’ont pas été observés depuis les années 1980. Mais pas que.

Le marché français du crédit à l’habitat est de très longue date l’un des plus sains au monde, comme l’illustrent des taux de défaut (1) extrêmement faibles. Il est aujourd’hui bousculé. Après avoir atteint des planchers historiques, de l’ordre de 1 % sur 20 ans, en début d’année, 2022 se clôture sur une nouvelle hausse des taux pour atteindre environ 2,40 % sur 20 ans. Nombre de professionnels de l’immobilier (notaires, courtiers, banques…) s’inquiètent aujourd’hui des dysfonctionnements du taux d’usure, censé être un outil de protection des consommateurs, mais qui freine aujourd’hui des emprunteurs parfaitement solvables d’accéder au crédit immobilier, voire leur en exclut l’accès.


Le boom de l’immobilier a pris fin

Début décembre, Le Figaro rapporte que sous l’effet de l’inflation et face aux incertitudes économiques, la valeur du marché de l’immobilier mondial a baissé. En effet, en octobre, le FMI évoque un « point de basculement » de l’immobilier mondial dans un rapport sur la stabilité financière. Adam Salter, d’Oxford Economics, estime que « globalement, il s’agit des prévisions les plus inquiétantes pour le marché immobilier depuis 2007-2008. Certains pays peuvent s’attendre à un déclin modéré et d’autres font des chutes beaucoup plus fortes de l’ordre de 15-20 %. » L’incertitude économique que nous subissons depuis plusieurs mois a entraîné une forte baisse des prix qui, si elle atteignait plus de 15 %, pourrait mettre en difficulté certaines banques, notamment en France, Italie, Espagne et aux Pays-Bas. Pour autant cette baisse des prix ne va pas permettre à davantage de ménages d’accéder à la propriété, leur pouvoir d’achat étant diminué par l’inflation. Le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) a constaté quant à lui le dynamisme du marché du crédit à l’habitat et le fait que les taux pratiqués par les banques remontent moins en France que chez nos voisins européens . Mais quid du ralentissement brutal d’obtention de crédit immobilier et des effets d’exclusion massifs causés par les retards d’ajustement du taux d’usure, effets pourtant relevés par une mission du FMI ?


De plus en plus d’emprunteurs se cassent les dents sur le taux d’usure au moment d’essayer d’acheter un bien

« En réétudiant les dossiers pour lesquels nous avons obtenu un accord des banques en 2021, nous sommes arrivés aux conclusions suivantes s’agissant de l’impact du contexte actuel sur le marché immobilier dans son ensemble : 18 % des dossiers financés en 2021 ne seraient plus finançables dans le contexte de marché de juin 2022 », analyse Pierre Chapon, co-fondateur de Pretto, un service de courtier en crédit immobilier. Et ce, pour deux raisons : d’une part, le taux d’usure (2), qui serait alors dépassé pour près de 60 000 dossiers, d’autre part le taux d’endettement maximum de 35 %, qui serait alors dépassé pour près de 160 000 dossiers en l’état. Une étude menée par PAP.fr estimait qu’un emprunteur sur dix avait fait l’objet d’un refus de prêt en novembre ; Vousfinancer rapporte de son côté une baisse de 20 à 25 % en novembre par rapport à novembre 2021.


En cause, l’évolution du coût de l’argent pour les banques

Les banques sont aujourd’hui sous pression et doivent faire face à des coûts de financement supérieurs à 2 %.(3) Les marges de manœuvre des banques commerciales baissent par une réduction de l’écart entre le taux d’usure en vigueur et le taux des OAT à 10 ans. En effet, jusque décembre 2021, cet indicateur avait une valeur inférieure à zéro : l’argent ne coûtait rien aux banques. On observait même une politique de la Banque Centrale Européenne arrangeante, puisque les banques empruntaient de l’argent à taux négatif et donc payaient pour déposer de l’argent. Les banques avaient alors tout intérêt à accorder des prêts, d’autant que le prêt immobilier offre de très belles opportunités d’attirer de nouveaux clients. Depuis janvier 2022, l’OAT est repassé sous la barre des 0 %, rapidement, jusqu’à voir sa valeur tripler en dix mois. Le coût de l’argent pour les banques a donc fortement augmenté, leur imposant de réajuster leurs taux de crédit immobilier, faute de quoi elles vendraient à perte. Le consommateur est ainsi confronté non seulement à des taux de plus en plus élevés mais également à des réajustements de ces taux de plus en plus fréquents : auparavant valables un mois, on observe aujourd’hui des taux qui peuvent changer à n’importe quel moment. L’année se termine donc avec des taux qui ont plus que doublé, proches de 2,5 % sur 20 ans, certaines banques allant même jusqu’à afficher un taux de 3 % sur 25 ans. Aujourd’hui, emprunter à moins de 2 % est désormais impossible, quelle que soit la durée du crédit. L’offre de crédit se trouvant dès lors limitée fait d’un outil de protection du consommateur un outil de raréfaction voire d’exclusion du crédit.

Banquiers et courtiers attendent à présent une hausse du taux d’usure, non sans ressentir que l’effet protecteur des emprunteurs n’est plus tenable : même avec de bons revenus et une qualité de dossiers avérée (apport, épargne…), une grande majorité ne peuvent plus accéder à la propriété. Les primo-accédants en particulier sont les plus touchés. Une étude de Drimki-BVA réalisée en nov**embre rapporte qu’une personne sur six aurait un projet immobilier dans les douze prochains mois, un chiffre constant depuis février 2020, mais ils ne seraient plus que 33 % à vouloir acheter leur premier bien immobilier, contre 44 % en début d’année. Ces primo-accédants sont confrontés de plus à l’explosion des niveaux d’apport personnel, qui dépassent désormais 60 000€ en moyenne. Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, interrogé par Le Monde, précise que « ce taux d’usure ne touche pas les ménages de la même façon. Les plus aisés peuvent toujours emprunter et achètent dans les zones tendues, contribuant à y maintenir la pression sur les prix ; ceux qui n’obtiennent plus de crédit sont plus modestes, sur des territoires moins tendus. Ce qui laisse présager un marché du crédit comme de l’immobilier à deux vitesses. »


Le nouveau taux d’usure, très attendu

Le gouverneur de la Banque de France avait rassuré les consommateurs en rappelant qu’un taux de crédit immobilier autour de 2-3 % n’avait jamais empêché l’immobilier de se financer . Certes. Ce n’est pas tant la valeur élevée du taux qui pose question aujourd’hui, mais plutôt son évolution en un an à peine. Aujourd’hui le taux d’usure est un véritable enjeu lors des échanges et négociations entre consommateurs et acteurs de l’immobilier, avec un impact sévère sur la viabilité de leurs projets. L’une des raisons : c’est un taux « tout compris ». Intégrant l’assurance de prêt, la garantie ou encore les frais de dossier, il laisse donc peu de marges de manœuvre pour passer dessous.

Fin décembre, la Banque de France dévoilera les nouveaux taux d’usure qui s’appliqueront au 1er janvier, pour les trois mois à venir. Avec l’espoir de voir l’accès au crédit facilité : la Banque de France pourrait en effet assouplir les conditions d’accès au crédit. Dans le monde immobilier et financier, on commence à envisager sérieusement de revoir le mode de calcul de ce taux d’usure, afin d’être plus en phase avec le quotidien et la réalité. Certains souhaiteraient également voir le poids de l’assurance emprunteur sortir du calcul, pour faciliter l’accès au crédit. En attendant les décisions des pouvoirs publics ou une stabilisation du coût de l’argent, que faire si vous avez un projet immobilier ?


Restez positif et mettez toutes les chances de votre côté

En dépit de cette progression qui pèse sur la capacité d’emprunt des consommateurs, l’accès au crédit immobilier reste possible, certains établissements bancaires continuant en effet de soutenir le marché. Toutefois, il importe de se renseigner, faire le tri et mettre en concurrence les banques : on peut observer jusqu’à 100 points de base d’écart entre la banque proposant les meilleures conditions et celle proposant les taux les plus élevés. Ne négligez pas non plus la comparaison des solutions d’assurance, afin d’obtenir les meilleures garanties au prix le plus juste. Pour mettre toutes les chances de votre côté, il est donc fortement recommandé d’anticiper et de préparer un dossier de demande de crédit. Bien accompagné, vous serez en mesure de construire un plan de financement optimisé et présenter un dossier de qualité pour négocier un taux attractif. Homeclik est la solution incontournable pour obtenir le meilleur dossier.



(1) Le taux de défaut est la capacité d’un acheteur à rembourser un crédit immobilier (sa solvabilité).

(2) Le taux d’usure est le taux maximum que doivent respecter les banques dans le cadre d’un crédit. Il est fixé par la Banque de France chaque trimestre en fonction es taux pratiqués lors du trimestre précédent, augmentés d’un tiers.

(3) Lorsqu’une banque vous prête de l’argent pour votre crédit immobilier, elle emprunte elle aussi, même si elle utilise une partie de l’épargne qu’elle détient déjà pour réaliser ses financements. Elle se base donc sur le coût de l’argent à 10 ans, car la durée réelle moyenne de conservation d’un prêt immobilier est de huit ans environ. En se financement sur dix ans, elle s’assure de couvrir la majorité de ses financements. Son indicateur de référence s’appelle l’OAT, l’Obligation Assimilable du Trésor, sur dix ans. Cet indicateur des taux d’emprunt de l’Etat français fait figure d’indice de référence pour les évolutions du marché du crédit en France.


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Sources :

Londres, Paris, San Francisco… Les prix de l’immobilier en baisse. Publié le 03/12/2022. Disponible sur https://www.lepoint.fr/economie/londres-paris-san-francisco-les-prix-de-l-immobilier-en-baisse-03-12-2022-2500312_28.php - Consulté le 19/12/2022

Cécile Roquelaure. Décryptage d’expert : pourquoi le taux d’usure bloque-t-il les financements ? Publié le 07/12/2022. Disponible sur https://www.empruntis.com/financement/actualites/decryptage-expert-pourquoi-taux-usure-bloque-t-il-les-financements-14976.php - Consulté le 19/12/2022

Haut Conseil de stabilité financière. Rapport annuel 2022. Publié le 14/11/2022. Disponible sur https://www.economie.gouv.fr/hcsf - Consulté le 20/12/2022


Crédit photo : Jaymantri